Anaïs-Tohé Commaret
Pensée par la jeune réalisatrice lors du premier confinement, la série Disparaitre dresse le portrait de 5 personnes dont la vie tient sur un axe oblique : une adolescente de 15 ans et son rapport ambigu aux réseaux sociaux, Philippe, un jeune garçon à la réalité singulière ou bien encore un jeune lycéen fuyant le bac depuis une remorque dérivant en orbite. La disparition tient ici du dehors comme elle tient du dedans : du désir de s’absenter du monde, sans pour autant nier celui qui nous entoure. Anaïs-Tohé Commaret parle de « rentrer dans l’œuf, revenir à la source » pour évoquer sans doute cette part d’inconscient qui se loge dans ses films. Chacun des courts métrages échappe à la seule emprise du réel pour convoquer un monde mental, voire même pré-mental, là où le signe ne fait pas encore sens. La pratique d’Anaïs-Tohé Commaret glisse vers ce terrain “extramental” avec son sentiment d'appartenir, tout en s’y dérobant, au réel. L'écriture documentaire se pare des oripeaux de la magie et mue, à l’image de son sujet, la disparition….

"La disparition, par la mutation, par le feu, par la dissolution dans l’eau ou dans un groupe ; ou bien dans un monde imaginaire, à la campagne, sous la couette, dans le sommeil. Sur cette idée, est née la volonté de réaliser une série composée de cinq épisodes, mélangeant comme le reste de mes productions, le film documentaire, la vidéo expérimentale, la fiction, voire même, parfois, du contenu audio. Cette série sera basée sur des témoignages collectés lors de rencontres avec des personnes dont la manière d’habiter le monde est de le fuir. Face à un monde où le temps est accéléré, où il faut être constamment producti.f.ves, ces individu.es m’intéressent par leur recherche d’alternatives à la réalité dans laquelle iels vivent. "


Les 5 épisodes de Disparaître sont réalisés sur plusieurs mois, voire plusieurs. Ils n’embrassent aucun calendrier de diffusion et sortent sans prévenir. Une irruption sur l’écran, sous la couette ; une sortie de l’inconscient comme on sort de l’épreuve d’un bac.

Épisode 01, 4:17 (février 2021)

Un jeune homme, face caméra, est assis dans une camionnette et nous parle dans la nuit. Filmé lors de cette traversée nocturne sans grande destination, il donne à entendre un rire cynique, qui se mêle au vent saturant l’enregistrement. Derrière notre écran, nous ne savons pas réellement qui il est, où il va, si le bac dont il parle est la vérité. Rien ne s’opère pour nous permettre de nous raccrocher à sa voix, car ce personnage hors sol, flottant sur le ventre de sa camionnette, mijote déjà des envies d’ailleurs. Il y parvient, par le truchement d’une lumière verte se posant sur sa main comme un coccinelle sur une phalange. À travers elle, en elle, il disparaît.

Le signe faible et fantastique de cette percée vers un ailleurs, est, dans Disparaitre, cette masse lumineuse irréelle à forte portée symbolique qui nimbe l’adolescent, comme si « le personnage s'était libéré du cadre, libéré de sa posture de clown cynique, qui rit d'une situation qui n'est pas dramatique, mais presque ».

Le vent hurlant qui sature l’enregistrement pourrait être l’un de ces « vent tornade », qui, en passant par Elri Paints Himself as a Tornado de Michael Salerno à Tennis, Trigonometry, Tornadoes : A Midwestern Boyhood de David Foster Wallace, permet à des adolescent.es américain.es de transcender des situations quotidiennes, avec leur trop plein de traumatismes. La tornade monstre devient alliée, car assimilable. Dans le film de Salerno, c’est d’ailleurs elle qui sert de palette de maquillage au jeune homme qui décide de lui ressembler en se grimant le visage. Dans le film d’Anaïs, le vent tornade est un air fort du soir, un vent fou qui semble pouvoir tout transformer par le biais de la couleur du feu vert. Et c’est d’ailleurs sous ce signe heureux qu’elle emboîte le pas vers une nouvelle série de formats courts, pensée comme une suite de portraits de personnes qui parviennent à se ménager une porte de sortie dans un monde au costume trop petit.
Épisode 02, 8:49 (mars 2022)

Pensée comme une anti-série par Anaïs Tohé-Commaret, la publication de ce second épisode un an après le premier vient réconforter les nostalgiques, appeler les retardataires et rassurer les fans très discret.es et patient.es: Disparaître ne fait que commencer.

A l’inverse des séries, on ne prévient ni on ne tease, c’est au bon vouloir de la réalisatrice et de
ses équipes que revient la fréquence de production et de publication des épisodes.

Cette fois, sur moins de 10 minutes, c’est le portrait de Philippe qu’Anaïs partage à travers sa
caméra : un jeune garçon à la réalité singulière et dont l’imaginaire est fourmillant. Fragiles comme
lui, ses découpages et origamis sont un support sur lequel la réalisatrice s’appuie pour construire
et traduire le récit de Philippe. Ce second épisode permettra aux regards les plus affutés de se
souvenir du premier, aux moins consciencieu.x.se de le (re)voir et aux nouvelles recrues de
découvrir deux épisodes d’une série d’un genre bien particulier.
C’est le temps long de la rencontre et de la réflexion qui rythme cette création.
A la fois spectateur et acteur, Philippe est devant mais aussi derrière la caméra, s’emparant
physiquement et symboliquement de sa propre image. Il la contemple et la contrôle, il l’imagine
et lui donne vie. Dans sa disparition, Anaïs ouvre une porte à Philippe pour (ré)apparaître comme
il le souhaite, tandis qu’elle s’efface et lui laisse prendre toute la place dont il a besoin.
Evoluant entre un univers médical aseptisé et un univers mental teinté d’onirisme, Philippe nous
emporte dans une promenade mélancolique et fantastique
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